Avec les moyens du bord…
dimanche 28 septembre 2014 – Buis-les-Baronnies
Pause philosophique
Une fois n’est pas coutume, je vais commencer mon CR de ces Championnats de France de Trail par une pensée philosophique. Et oui, à ceux qui pourraient en douter, il m’arrive parfois de prendre un peu de recul et de réfléchir un peu !
Jusqu’à présent j’ai souvent fait l’amalgame entre l’aspect purement comptable (chrono et classement) pour juger de la réussite ou non d’une course. Mon niveau de satisfaction étant très lié à mon niveau de performance, laissant de côté tous les autres critères qui pourraient entrer en ligne de compte.
Si je m’arrêtais donc à ces critères, j’aurais de quoi être déçu de ma performance du week-end : en effet, il n’y a pas grande gloire à se retrouver rejeté à près de 2h30 du vainqueur, à une symbolique 65ème place (sur 115 classés….).
En revanche, si je regarde les choses sous un angle différent, que je ne m’attarde pas simplement sur le résultat, et que je regarde plutôt la manière dont j’ai géré ma course. Si je me réfère à la pensée d’Aïcha “Pour moi, l’essentiel, dans le sport, c’est le dépassement de soi auquel il nous oblige sans cesse.” Je verrais alors ma course d’une toute autre manière, bien plus enthousiaste et intéressante. Car en réalité ce qui compte avant tout, c’est de donner le meilleur de soi-même, d’aller à la limite de ses capacités, sans jamais les dépasser et de faire ainsi le mieux qu’il soit possible de faire avec les moyens qui sont les nôtres.
Sous cet angle de vue, je pourrais dire ainsi que j’ai fais la course parfaite dimanche, que je peux être fier de mon résultat car j’ai vraiment donné tout ce que j’avais (et même ce que je n’avais pas). Sans me chercher la moindre excuse, ce n’est pas je genre de la maison, je prends avec le recul, la mesure de ma performance. En effet, de nombreux facteurs plaidaient en ma défaveur avant même le départ de la course :
- La veille de la course j’ai contracté la pire sinusite qu’il m’ai été donné d’avoir depuis de nombreuses années. D’autres que moi auraient peut-être même renoncé à prendre le départ, mais c’était une solution que je n’ai pas envisagé une seule seconde. Tant pis, j’allais passer presque 8 heures en manque d’oxygénation, à cracher des glaires monstrueuses toutes les 5 minutes…
- Me lancer à l’assaut de ces Championnats de France seulement 15 jours après les 62 kms du Trail de la Côte d’Opale, couse où j’ai laissé beaucoup plus de forces que prévu, n’était probablement pas non plus la meilleure des préparations !
- Mes douleurs récurrentes, depuis quelques mois, aux tendons d’achile, qui m’empêchent parfois de marcher le matin au réveil.
- Et pour finir un profil de course, trop montagneux pour le coureur de ‘plaine’ que je suis et qui n’a que peu d’occasions d’aller me frotter aux dénivelés de la montagne.
Je ne saurais jamais si, en l’absence de ces conditions plutôt défavorables, j’aurais pu, ou non, faire un meilleur résultat. Mais est-ce vraiment important ? 5′, 10′ , 15′ voir même pourquoi pas 30′ de moins et quelques places de gagnées auraient-elle pour autant changé ma vision de cette épreuve ? Probablement que non, car au delà de tout cela, je puise ma satisfaction avant tout dans ce combat que j’ai mené contre moi-même et surtout dans la manière où j’ai su faire face à la situation.
Assez de philosophie, et passons aux choses sérieuses et au récit de mon aventure !!
Mon récit des Championnats de France de Trail 2014 :
C’est une ambiance un peu particulière que celle d’un grand championnat. A quelques minutes du départ, alors qu’il fait encore nuit noire, la foule qui se masse près de la ligne de départ est impressionnante. Beaucoup de journalistes se battent pour interviewer les champions et les supporters sont nombreux. Même sensations pour accéder au départ, avec un sas pour les élites et un autres pour tout le reste. On se retrouve parqués derrière des barrières de 3 mètres de haut,.. on se croirait au départ du Marathon de Paris… alors que nous ne sommes qu’environ 200 !
Comme à mon habitude, sas ou pas, je parviens à me positionner au devant de la ligne de départ, juste aux côtés des meilleurs. Le départ est donné, et le ton également ! Dès les premiers mètres, je me fais déborder par une nuée de coureurs partis sur un rythme effreiné. Je dois me retrouver aux alentours de la 50ème place !
Si pendant le premier kilomètre je parviens à rester à hauteur du groupe de tête, dès les premiers mètres de montée, je commence à glisser dans le classement, au point que j’abandonne l’idée de savoir où je me trouve. Pourtant, malgré ce que je juge être un départ prudent pour moi, je suis largement en avance sur mes prévisions, preuve que cela va extrêmement vite (ils seront nombreux à le payer plus tard).
Je décide alors de me concentrer uniquement sur ma course et sur le suivi de mon plan de marche, je m’enferme donc dans ma bulle et tente d’oublier tout le reste. De toutes façons, cela serait suicidaire de vouloir suivre les autres, et en plus en ai-je les moyens ? Pour être franc, la réponse est non, car si les jambes ne me font pas souffrir, je commence déjà à cracher mes poumons et ma capacité respiratoire s’en ressent et calme mes ardeurs…
La première partie du parcours est en réalité une longue montée vers le col de Malpertuis, avec quelques moments de répit et des portions roulantes, puis une première grosse bosse à digérer. Je monte donc à mon rythme et continue à m’enfoncer tout doucement mais surement dans les profondeurs du classement.
La course est encore longue, et cela ne m’inquiètes pas outre-mesure, mais je dois avouer que je prendrais quand même un petit coup au moral aux environ du 8ème km lorsque je me fais littéralement déposer par le 1er V3, de 20 ans mon aîné, qui me dépasse sans le moindre signe de souffrance ! Je pense alors que je le récupérerai probablement dans la seconde partie du parcours… on se console comme on peux !
Comme à mon habitude, je ne suis décidément pas au mieux dans les 10 premiers kilomètres, c’est le temps que la mécanique chauffe ! Après avoir basculé en haut du col, je commence petit à petit à reprendre du poil de la bête, plus à mon aise sur les parties planes, je remonte quelques places dans la courte descente qui suis. Malgré tout, je reste plus en-dedans qu’à mon habitude, car la course est encore bien longue et je n’ai aucune idée de ma capacité du jour à tenir jusqu’au bout.
Nous enchaînons, aux alentours du 11ème km sur une côte très raide, mais relativement courte (environ 1km) qui est la partie la plus difficile de cette première boucle. A ma grande surprise, alors que je m’attends à continuer à perdre des places, je rattrape et dépasse plusieurs concurrents dans cette côte. Preuve que les jambes ne sont pas si mal que cela et que je vais pouvoir espérer revenir par la suite !
Il s’en suit une petite portion roulante avant une nouvelle montée assez sèche vers le col de Linceuil, point le plus haut de cette première partie. Une fois en haut, nous abordons une descente pas très agréable car très caillouteuse, il importe de faire attention aux chevilles. Je l’aborde très prudemment et me fais rejoindre par l’un des gars que j’avais doublé dans la montée. Je le laisse filer, mais à la faveur de chemins moins cassants, je reviens progressivement sur lui et le rejoindrais, puis le dépasserai au niveau du camping naturiste.
La suite de la descente se fait en forêt par un chemin assez agréable, mais piègeux du fait des nombreuses racines qui dépassent et manquent de vous faire chuter. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, nous voilà redescendu au fond de la vallée, avec une petite traversée rafraîchissante de l’Ouvèze synonyme de retour dans Buis.
Me voilà au point de ravitaillement du km23,4, fin de la première boucle, en 2h30′ (près de 10′ d’avance sur mon plan de route) en… 114ème position ! Je prends le temps de me ravitailler et de faire le plein pour repartir aussi vite à l’assaut de la plus grande montée du parcours qui s’étale en continu sur près de 6 kms. Alternance de passages raides et d’autres plus roulants où il est tout à fait possible de courir, je continue ma marche en avant.
Au fil des kilomètres, je commence à rattraper des coureurs qui, partis trop vite, sont en train de payer leur excès d’enthousiasme ! Mais je me fais également rattraper par deux concurrentes, dont le rapport poids/puissance en montée est imbattable (enfin pour moi)… et je ne parviens guère à suivre leur allure…
J’arrive au 30ème km en 3h40′ (soit pratiquement 12′ d’avance sur mon roadbook), là encore j’ai fait une bonne montée. J’ai derrière moi le plus gros dénivelé, ne me restera plus que la montagne de Banne et la remontée de Poët en Percip. Je respire toujours aussi mal et la relance est laborieuse, il me faut un bon kilomètre pour retrouver une allure ‘normale’. Pourtant, j’ai comme l’impression que le temps s’est arrêté, cela fait bientôt 4 heures que je cours et j’ai l’impression d’avoir tout juste commencé ! Je suis pratiquement seul au monde, de temps à autre je croise un coureur en difficulté et gagne ainsi quelques places.
Nous sommes maintenant sur une petite portion roulante, et principalement en descente. Je reviens alors sur l’une des demoiselles qui m’avaient déposées dans la côte. Je la rattrape, la dépasse rapidement, mais dès que la route s’élève, je suis comme scotché et elle me rattrape, et de nouveau me laisse sur place. Ce petit jeu de yoyo entre elle et moi durera une bonne dizaine de kilomètres, elle me servira de point de mire dans les côtes et inversement dans les descentes. Grâce à cette entraide de circonstance, nous grappillons quelques places.
Au niveau du 3ème ravitaillement (vesr le km34) je pointe enfin dans le ‘top100’. Je ne m’arrêtes que quelques secondes pour remplir ma bouteille et c’est reparti, direction la terrible montagne de la Banne. Je dis terrible car la partie finale de l’ascension est raide et escarpée. La montée sera lente et laborieuse, c’est à partir de ce point que je commencerai à perdre du temps sur mes prévisions. Une nouvelle fois je suis lâché par mon ‘poisson pilote’ mais malgré tout je continue à rattraper du monde et sur la crête je double encore deux concurrents.
La descente s’annonce plus compliquée, nous l’abordons par une partie hors piste, mêlant herbes, cailloux et petits massifs de buis. Je n’ai personne en point de mire, de sorte que je suis obligé de faire ma ‘navigation’ seul. Et forcément, je ne vais pas bien vite et cela revient de l’arrière. S’en suit une partie délicate et abrupte. C’est le passage le plus compliqué de toute la course, il n’y en a que pour un km, mais je ne suis vraiment pas à l’aise, d’autant que mes nouvelles Adidas XT5, si parfaites jusque là, montrent leur limite niveau adhérence !. Je suis contraint de laisser filer 3-4 coureurs, bien plus agiles que moi dans cet exercice.
Passé cet obstacle, toujours sans forcer, je reprends mon rythme de croisière et rattrape dans la descente qui suit tous ceux qui m’avaient déposés auparavant ainsi que ma ‘collègue’. Le chemin est étroit, mais rapidement je parviens à me hisser en tête de ce groupe pour y imprimer mon rythme. Dans la remontée qui suit et doit nous mener vers Pöet en Percip, je m’attends à me faire dévorer tout cru, tant je grimpe lentement, mais à ma grande surprise, ils se contentent de suivre mon rythme, personne n’osant ou n’ayant les moyens de prendre la tête de ce groupe.
A l’entrée du village, mon avance à totalement fondue et je suis quasiment dans les temps prévus ! La chaleur se fait de plus en plus pesante, et arrivé au ravitaillement, je demande à Péline, ma super assistante, de sortir les armes secrètes : tout d’abord la bouteille de Perrier dont je prendrait quelques gorgées salvatrices avant de m’asperger abondamment avec le reste de la bouteille (au grand dam de Péline, qui avait dû courir pour aller la chercher dans la voiture avant que je n’arrive !), et ensuite de repartir avec ma deuxième arme secrète, celle que je n’utilise qu’en cas d’urgence et de chaleur extrême, à savoir un gros morceau de concombre, que je dégusterai tranquillement en repartant !
Cela pourrait peut-être paraître un peu farfelu, mais d’une part j’adore le concombre, et d’autre part celui-ci étant composé à 98% d’eau, c’est un excellent moyen de se réhydrater lorsque l’on commence à saturer des diverses boissons ingurgitées pendant des heures…
Cette précaution n’aura pas été inutile, car la chaleur se fait de plus en plus forte, et cette dernière montée vers les hauteurs de Poët en Percip se fait à un rythme très lent. Je m’attends à me faire rattraper par plein de coureurs, mais à ma surprise, personne ne revient sur moi. Une fois en haut, il ne me restera plus qu’une ou deux portions montantes et ensuite il suffira de dérouler vers l’arrivée.
La vue est magnifique, mais comme souvent, pas le temps d’en profiter. Je bascule sur l’autre versant pour quelques kilomètres en forêt dans un faux plat descendant qui me permet de maintenir un rythme tout à fait correct. S’en suit une petite descente raide et caillouteuse qui me forcera à ralentir puis une remontée, qui de loin semble anodine, mais qui me coupe les jambes.
Je sens que cela commence à revenir derrière moi, mais je n’y peut rien, je n’ai ni le souffle ni les forces pour accélérer. La fatigue commence à s’installer, la chaleur est harassante et je dois lutter contre la déshydratation, je bois le plus souvent possible et je m’asperge régulièrement d’eau pour tenter de rester au frais. Une fois cette bosse passée, nous empruntons un chemin plus large et descendant qui me permet de reprendre un rythme acceptable. Mais je n’ai pas la force d’accélérer et me contente de me laisser porter dans cette descente.
Au 54ème km, nous devions initialement couper le chemin et emprunter un passage très raide, mais à ma grande surprise, pas de marquage, pas d’indications, je marque un petit temps d’arrêt avant de me rendre compte que finalement nous allons rester sur le chemin… et faire 2 kms de plus ! A cet instant je me fais doubler par 3 concurrents revenus de l’arrière, je ne tente même pas de les suivre, j’en suis bien incapable. D’autant plus que le moral vient d’en prendre un coup…. il ne me reste pas 6, mais 8 kms à parcourir, ça n’a l’air de rien, mais après plus de 7 heures d’efforts cela paraît énorme !
Me revoilà seul à me laisser porter par la descente quand, en l’espace de seulement quelques centaines de mètres, je rejoins un groupe d’environ 5-6 coureurs, complètement à l’agonie et qui ont toutes les peines du monde à descendre. Je ne vais pourtant pas bien vite, mais je les dépose sur place de manière impressionnante ! Cela me redonne un peu de motivation… on ne sait jamais, il y en a peut-être encore d’autres à croquer devant !!
Cependant, chaque petite bosse me semble une montagne et met à mal ma motivation. Au passage de la Roche-sur-le-Buis je ne peux contenir le retour d’un coureur qui, en quelques centaines de mètres m’oublie complètement.
Je n’en peux plus et je n’ai qu’une hâte, c’est que cela se termine, je me retourne régulièrement pour surveiller mes arrières, je ne voudrais pas encore me faire rattraper, si près du but. Je ne profite guère de la traversée des oliveraies, pourtant magnifiques. Je suis impatient de rejoindre cette route qui nous ramènera vers le village.
Enfin la voilà, un petit km de descente puis un petit détour dans les faubourgs de Buis-les-Baronnies. Je jette mes dernières forces dans la bataille, continue à me retourner pour m’assurer qu’il n’y a pas de danger. Puis, virage à gauche, passage sur le pont au dessus de l’Ouvèze… dernier virage avant la longue ligne droite qui mène vers l’arrivée.
Un dernier coup d’oeil vers l’arrière, je peux savourer tranquillement les derniers mètres, ce passage sur le tapis rouge libérateur et la ligne d’arrivée ! J’ai réussi, je suis allé au bout, sans fléchir, sans m’écrouler, en donnant tout ce que je pouvais. Alors même si je termine 79ème de la course (65ème du Championnat de France) en 7h55’33” à pratiquement 2h30 de Sylvain Court, oui, je suis fier et heureux de ma course !
En conclusions
Malgré mes faiblesses du jour et les défauts de ma préparation, j’ai tenu bon jusqu’au bout ! Malgré la chaleur pesante, j’ai réussi à gérer les effets d’une déshydratation que j’ai su endiguer pour ne jamais franchir la ligne de non-retour. Et plus que tout, j’ai vraiment pris du plaisir durant cette course qui s’est déroulée dans un cadre absolument magique, et c’est bien là l’essentiel…
Je tiens à remercier Péline qui m’a suivi et supporté, dans tous les sens du terme, durant cette aventure, et sans qui les choses auraient probablement été bien plus compliquées…
Tous les classements des Championnats de France :
Classements Championnats de France de Trail 2014