Marathon de Paris 2014 : l’exploit
Récit de mon marathon de Paris 2014
Le titre de mon article peut paraître un peu démesuré, mais il reflète le sentiment que j’ai eu en passant la ligne d’arrivée lorsque pour quelques toutes petites secondes j’ai réussi à concrétiser le paris un peu fou que je m’étais lancé.
Le contexte :
Pour pouvoir mesurer l’ampleur de la tâche accomplie il est nécessaire de préciser les conditions de réalisation de ce marathon de Paris.
Il y a quelques mois, lorsque je me suis inscrit au marathon de Paris, je savais que la tâche serait difficile, une semaine après l’un de mes principaux objectifs de la saison 2014, il me serait forcément difficile d’être performant le jour J, et la simple idée de descendre sous les 3 heures semblait tout simplement relever du domaine de la folie et d’un rêve inaccessible, n’ayant réalisé cette performance qu’une seule fois auparavant.
C’était également sans compter sur un début de saison difficile avec quelques petites blessures qui ont largement compromis ma préparation, réduisant quasiment à néant tout mon programme hivernal.
Le terme ‘Exploit’ prend tous son sens lorsque je remonte une semaine en arrière, car non content d’avoir couru les 80 km (ou presque) de l’écotrail le samedi, il m’a fallu gérer pendant près de 48 heures les conséquences d’une forte déshydratation : température élevée qui a du mal à redescendre, réhydratation lente et progressive, plus la grosse fatigue qui va avec.
Il m’a fallu en plus digérer ma -relative- contre performance, ce qui n’était, à priori, pas de nature à me donner un moral de vainqueur !
Tous ces éléments ne plaidaient pas en ma faveur avant le départ de ce marathon. Mais avec le recul, peut-être que ces moments difficiles vécus sur l’écotrail où j’ai bien failli abandonner et tout laisser tomber sont la source de cette motivation sans faille qui m’a accompagnée tout au long de ces 42,195 km ?
L’état d’esprit
Après avoir eu envie de tout envoyer balader dans les premiers jours après l’écotrail, c’est un sentiment de douce folie qui s’est installé au fil des jours précédant ce marathon. Faisant fi de ce début de saison raté où pas une fois je n’ai pu rentrer dans mes objectifs, je me suis mis tout doucement à rêver, à croire que ce défi que je m’étais fixé il y a de cela quelques mois était finalement réalisable.
Si je m’en tenais à mes résultats du début de saison, il est clair que je faisais fausse route : comment en quelques jours à peine pourrais-je me remettre d’une épreuve aussi difficile, comment pourrais-je trouver la force mentale de me surpasser, alors même que cette force me fait régulièrement défaut depuis le début de l’année ?
C’est sans doute parce que c’était impossible que le l’ai fais !
Sans me prendre la tête, sans aucun stress, qu’avais je donc à perdre de plus ? Si je n’y arrivais pas, de toutes façons j’aurais une bonne excuse ! Je me suis tranquillement mis à rêver, à me dire que je parviendrais au moins à tenir 10 km, peut-être 20… et même peut-être que j’en tiendrais 30 avant d’exploser et de rentrer comme je peux vers l’arrivée.
Je me suis dis que cela valait le coup de tenter, finir en 3h10-15 sans avoir pris de risque ou finir dans les mêmes chronos an ayant fait le paris fou de tenter ma chance, cela revenait finalement au même !
C’est peut-être le mélange de ma folie, de mon envie de revanche, et du fait que je n’avais rien à perdre qui m’ont permis d’aborder cette course dans un état d’esprit des plus sereins. Jamais je n’avais été aussi apaisé avant un tel événement, et c’est peut-être l’une des clés de ma réussite.
La course :
Une fois n’est pas coutume, c’est avec un peu d’avance que j’arrive sur l’avenue Foch pour me préparer en ce dimanche matin, je me change tranquillement et me dirige sans stress vers la zone de départ. Habitué à m’y présenter toujours à la dernière seconde, dans le stress du départ imminent, j’y suis arrivé pour une fois avec un bon quart d’heure d’avance sur l’horaire. Mon coeur battant à peine aux alentours des 80 pulses témoigne de mon calme et de ma sérénité à quelques minutes du départ.
Je me positionne tranquillement dans le sas préférentiel, sans chercher à tous prix à me retrouver tout devant, je me dis que de toutes façons je partirai tranquille, alors pas besoin de me précipiter. J’ai le temps de regarder et d’applaudir le départ des handisports ainsi que des associations, toujours aussi calme, j’attends patiemment l’heure du départ. Je profite pleinement de ces instants de calme avant la tempête.
A l’inverse de mes précédents marathons, j’opte pour une stratégie d’attente, pas question de partir vite pour prendre de l’avance, l’idée étant d’être juste dans l’allure pour m’économiser au maximum. Je n’ai absolument aucune idée de combien de temps je pourrais tenir, si je vais craquer ou pas.
Je prends donc un départ très tranquille, 4’17 au premier kilomètre, je me cale ensuite sur une allure comprise entre 4’10 et 4’15. Je sais que je peux aller plus vite, mais pas question de forcer. Je me sens tellement bien que j’en oublie de prendre mon temps au km 2, cela m’arrivera encore une fois un peu plus loin lorsque je me mélangerai entre miles et km.
Cela n’a l’air de rien, mais c’est un signe de mon état de relaxation, je ne ressens aucun stress, je profite pleinement de ces kilomètres qui défilent tous seuls, sans même avoir l’impression de forcer.
Je prends le temps de m’alimenter correctement, je ne saute aucun ravitaillement bois le plus possible et m’asperge afin de me refroidir et d’éviter la déshydratation. Ce matin il fait bon et le soleil tape assez fort, pas question pour moi de reproduire la situation de la semaine précédente, ma priorité est de ne pas surchauffer.
Je passe tranquillement la petite côte du 7ème km, sans m’affoler, les quelques secondes perdues ici se reprendront dans la descente, j’en fais de même lorsque nous franchissons la porte Dorée : ne pas se crâmer, ne pas faire d’efforts inutiles.
Peu avant le 10ème kilomètre, j’ai le plaisir de croiser Stéphane, qui était avec moi en Tunisie il y a 15 jours, et qui m’encourage et me suis sur quelques mètres, cela me redonne du baume au coeur et me motive pour la suite.
Au 10km je passe en 42’14″… soit bien moins vite que l’an dernier, ma marge sur objectif n’est qu’à peine de 26″, conforme à ma stratégie du jour, à laquelle je ne suis pourtant pas habitué. Je me dis alors que si je veux aller au bout, va pas falloir faiblir sur la fin. Mais à ce stade de la course, il n’est pas encore question de résultat, je ne sais toujours pas jusqu’où je pourrais aller comme cela, je me dis simplement que ce qui est pris est pris et chaque kilomètre qui passe est un bonus.
Même si par moment cela tire un peu sur les jambes, je m’efforce de maintenir ce rythme, poussant de temps en temps la machine un tout petit peu plus vite, histoire de varier quelques peu l’allure et éviter de m’endormir. Au 19ème kilomètre, à la sortie du bois de Vincennes, j’ai le plaisir de recevoir les encouragements de Larbi, venu nous apporter son soutien le long du parcours.
Le deuxième 10 km est un peu plus rapide que le premier, car majoritairement en descente, ceci me permet de prendre un tout petit peu de marge, et je passe au semi en 1’28’49”
Néanmoins, il n’est pas question de s’endormir pour autant, la deuxième partie s’annonce plus difficile, surtout la fin. Il va falloir en garder un peu sous le coude pour les derniers kilomètres. Je redoute un peu le passage sur les quais, qui sont souvent pour moi synonymes de moments d’euphorie et de moments plus difficiles. La succession de tunnels qui suit avec autant de petites montées raides, casse un peu le rythme. Je prends bien soin de ne pas me mettre en sur-régime dans ces portions montantes et prend le temps de souffler pour me remettre ensuite progressivement dans mon tempo.
Peu avant le 30ème kilomètre je croise Christophe Le Boulanger, celui-là même qui m’avait accompagné pendant quelques kilomètres lors de l’écotrail et que je retrouverais dans un mois au Trail Yonne. Je n’ai malheureusement pas trop la force de discuter avec lui, un simple ‘comment vas ?’ et je poursuis ma route. Je n’étais donc pas le seul fou à tenter le doublé écotrail – MDP !! Cela me booste encore un peu plus et me motive pour réussir mon défi.
Stratégie efficace, puisque je ne perds pas de temps et passe au 30ème en 2h06’36”, ce qui porte mon avance sur l’objectif à 1’24”, à ce moment là je peux encore espérer battre mon record, mais la marge est infime, d’autant que le plus dur est devant moi. Je prends toujours soin de m’alimenter, de m’asperger et de bien boire aux ravitaillements afin de conserver autant de fraîcheur que possible.
La course va vraiment commencer dans les 10 derniers kilomètres, c’est là où tout se gagne ou tout se perd, si jusque là mon marathon ressemblait quasiment à une promenade de santé, un petit footing tranquille. Cependant, au fil des kilomètres, la fatigue commence tout doucement à s’installer et si je parviens encore à rester dans le tempo c’est maintenant au prix d’efforts plus intenses.
Le juge de paix sera pour moi le 34ème kilomètre, là où j’ai flanché l’an dernier, là où la route s’élève un peu, au détours de Roland Garros, et où l’on prend une grosse claque et où il faut être très fort pour ne pas sombrer. Je suis sur une bonne dynamique, je sais que je vais souffrir, que cela ne sera pas facile, mais je me dis que je n’ai pus que 8 kilomètres à tenir. Qu’est ce donc que 8 kilomètres par rapport à ce qui a déjà été fait ?
Si mon parcours jusque là ressemblais à une promenade de santé, les choses se corsent, le 34ème km passe mieux que l’an dernier, mais j’y laisse quelques plumes, je ne peux plus tenir la cadence, les jambes se font lourdes et chaque petite montée ressemble à un mur, les relances sont difficiles et je perds rapidement du temps. Malgré tout je m’accroche, j’essaie de suivre les rares coureurs qui me dépassent, car si je suis dans le dur, je ne suis pas le seul, et de loin. Malgré mes difficultés, je continue à doubler des coureurs.
Chaque mètre qui passe est une souffrance, je lutte contre ce maudis chronomètre qui défile de plus en plus vite, mais pas question de lâcher prise, là où il y a une semaine encore j’aurais abdiqué, je trouve les ressources pour relancer (enfin le mot est un peu fort, disons plutôt limiter la casse). Au fil des kilomètres je vois ma faible avance sur le timing fondre comme neige au soleil.
Heureusement, le profil des 4 derniers kilomètres est globalement descendant, ce qui me permet de limiter les pertes, mais je sais que la marge est faible. Les jambes flanchent un peu, mais le moral refuse de se laisser abattre, pas question si près du but, si près de réaliser ce rêve totalement fou, d’échouer ne serait-ce que pour quelques secondes.
Au 40ème kilomètre, je n’ai plus de marge, ça peut encore passer, mais il va falloir trouver les moyens de reprendre quelques secondes. J’ai beau tout donner, rien n’y fait, je ne reprends pas de temps, et même j’en perds encore un peu, je passe le 41ème km en 4’36”. Je résiste encore et toujours, avec une force mentale que je n’ai eu qu’en de rares occasions, je me refuse à l’échec.
Le dernier kilomètre me semble durer une éternité, je lutte tant et plus, puis j’aperçois le grand rond point qui précède l’arrivée, je tente d’accélérer, mais en vain. Une fois sur le rond-point il ne me reste plus guère de temps pour arriver, je serre des dents, et porté par les élans de la foule très nombreuse, je tente une nouvelle fois d’accélérer. Je boucle le 42ème en 4’28”, ce n’est pas encore assez.
Plus que 200m, je suis dans la ligne droite finale, j’aperçois l’arche d’arrivée qui me tend les bras, et vois aussi ce maudit chronomètre qui affiche, implacable, le temps : 2h59’30″… les secondes s’égrènent rapidement, j’accélère, donne tout, dans un sprint final à plus de 17 km/h. Je suis encore à quelques mètres de l’arche lorsque le chrono affiche 3h00’00”, encore une dizaine de mètres, je me jette sur la ligne d’arrivée.
La délivrance
Au départ, je me suis lancé environ 8 secondes après le top, normalement ça doit passer, ma montre indique 3h00’01″… mais j’ai stoppé le chrono après la seconde ligne. Pendant plusieurs minutes je suis dans l’incertitude, ai-je réussi mon paris ou bien ai-je échoué pour quelques malheureuses petites secondes ?
J’en viens à prier les dieux de chez ASO (c’est pour dire si j’étais sur une autre planète !), les minutes d’attente sont interminables, j’appelle ma mère qui n’a pas encore reçu les résultats sur internet.
Je suis partagé entre la joie d’avoir réussi mon pari, et le doute de ne pas avoir franchi cette barrière symbolique. Puis mon téléphone sonne, et c’est la délivrance, c’est gagné !! J’ai remporté mon défi, le verdict final sera donc : 2h59’56” – 861ème au général.
Ce marathon restera comme l’une de mes courses les plus abouties depuis bien longtemps, que cela soit sur le plan physique, stratégique et mental